Les marchands du désert : au cœur du souk aux dromadaires de Daraw
Par une matinée poussiéreuse dans le sud de l’Égypte, les cris rauques des dromadaires se mêlent aux voix graves des négociants. À Daraw, petit bourg de Haute-Égypte, un marché ancestral continue de battre au rythme lent et puissant des caravanes venues du désert.

Un héritage vivant entre Nil et désert
Depuis plus de deux siècles, le souk de Daraw est un carrefour emblématique du commerce de dromadaires entre l’Égypte et le Soudan. Situé à trente cinq kilomètres d’Assouan, ce marché hebdomadaire accueille marchands, éleveurs, paysans et acheteurs venus de toute la Haute-Égypte.
« Ce marché existe depuis plus de deux cents ans. Il est connu dans toute la République d’Égypte. »
— Hajj Salah El-Omda, marchand de Daraw

Darb el-Arba'in : la route mythique des caravanes
Longtemps avant les camions et les routes goudronnées, les dromadaires marchaient. Pendant quarante jours, ils traversaient le désert entre le Darfour (au Soudan) et la Haute-Égypte en suivant une piste ancestrale connue sous le nom de Darb el-Arba'in littéralement, « la route des quarante jours ».
Cette route caravanière reliait les oasis du désert occidental égyptien (comme Kharga ou Dakhla) aux grandes villes du Nil, transportant dromadaires, encens, ivoire, peaux et épices. Véritable artère commerciale dès l’Antiquité, elle est restée active jusqu’au XXe siècle.

« Depuis le départ jusqu'à son arrivée en Égypte, le trajet durait quarante jours. » — Hajj Salah El-Omda
La Darb el-Arba'in n’était pas seulement une route de commerce : elle était un lien entre civilisations, un axe de transmission entre le Sahel, le Nil et la Méditerranée. Encore aujourd’hui, à Daraw, le nom de cette route mythique résonne avec respect et nostalgie.

Une scène de marché, entre tradition et tension
À leur arrivée, les dromadaires sont placés dans de grands enclos poussiéreux. Les négociations commencent immédiatement. Il faut observer, jauger, marchander parfois pendant des heures. Les cris fusent, les poignées de main claquent. Chaque bête est évaluée selon son âge, sa santé, son tempérament.
« On les estime, on négocie un prix, et on prend une commission. C’est le rythme du marché ici. »
Ce souk fonctionne comme une bourse à ciel ouvert. Les échanges se font entre initiés : des commerçants aguerris, souvent issus de familles où ce métier se transmet de génération en génération.

Le dromadaire, pilier discret de la vie rurale
Le dromadaire n’est pas un simple animal de trait. En Haute-Égypte, il reste un outil indispensable pour les agriculteurs, notamment dans les champs de canne à sucre ou de maïs, là où ni tracteurs ni camions ne peuvent accéder.
« C’est l’outil moderne du paysan. »
Dans certaines zones, il est encore utilisé comme bête de bât, pour transporter des récoltes, du bois ou des matériaux de construction. Sa robustesse et son endurance font de lui un partenaire silencieux mais essentiel.

Une bête mythique et affectueuse
Animal de légende, le dromadaire est aussi un être sensible et rusé. Il reconnaît la voix de son maître, se lie affectivement à lui…mais n’oublie jamais une injustice.
« Si tu le frappes, il peut se venger. Mais si tu l’appelles parmi mille, il vient vers toi s’il t’aime.»
Son lait est hautement nutritif, particulièrement prisé dans les médecines traditionnelles. Il est reconnu pour ses bienfaits chez les enfants atteints d’autisme ou de diabète. Sa viande est également consommée, son foie est très recherché, et même son urine est utilisée dans certaines pratiques ancestrales.
Le dromadaire est mentionné dans le Coran comme un signe de la création divine, preuve, pour les croyants, de sa place particulière dans l’équilibre du monde vivant.

Un lien ancien entre Égypte et Soudan
Au-delà du commerce, ce souk illustre un lien civilisationnel profond entre l’Égypte et le Soudan. Les deux pays, reliés par le Nil, ont partagé rois, langues, cultures et routes pendant des millénaires du royaume de Kouch à la monarchie de Farouk.
« Le Soudan est notre racine, et nous sommes la sienne. Le commerce nous lie depuis l’époque des pharaons. »
À Daraw, cette mémoire commune se vit encore dans la langue, les gestes et les échanges. Le marché devient un espace de dialogue et de continuité.

Un message du désert au reste du monde
Au-delà des transactions, Hajj Salah El-Omda porte un regard apaisé sur son monde. Pour lui, le commerce est un pont, et la tradition un langage universel. Son message est simple : paix, fraternité, unité.
« Que nous puissions vivre en paix, éliminons la rancune entre nous. Le monde a besoin de sérénité. »
Dans ce bout d’Égypte, entre sable, bêtes et traditions, les marchands du désert rappellent que le progrès n'efface pas les liens profonds, il les transforme !

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